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LA ROUTE DES EPICES : CURRY

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Le curry? Jacques-Louis Delpal s'en régale, mais nous apprend que cela n'existe pas. Plus exactement, qu'il en existe autant que d'Indiens. Il joue avec les saveurs et les couleurs des épices "mild", "hot" ou "very hot" dont s'éprirent les Anglais. Une histoire poivrée, éventuellement pimentée.

"Dieu a fait l'aliment, le diable l’assaisonnement", écrivait James Joyce dans Dedalus. Odoriférantes, piquantes, caressantes, violemment suaves ou doucement brutales, les épices viennent d'enfer… pour entraîner au septième ciel. Les Anglais inventèrent le mot curry, ou carry, ou cary, si ce n'est kari, afin de désigner les mélanges, réalisés selon goûts, humeurs, ressources et formules plus ou moins secrètes, présentées le plus souvent en poudre et d'usages divers.

Presque aussi flou, ou du moins aussi général, que le mot "sauce" ou des expressions telles que "salades composées", le terme correspond à peu près à masala ou massala  que les Indiens s'entendent tous à comprendre, bien que parlant des dizaines de langues et dialectes (les accentuations diffèrent assez pour que la transcription phonétique permette de redoubler ou non le s). Ingénieur de formation — il fut spécialiste des moteurs diesel avant de se convertir à l'informatique —, homme d'entreprise et de gestion, de surcroît gourmet sans frontières, Yogen Gupta ouvrit les restaurants Indra et Vishnou, il y a une dizaine d'années, alors que les "indiens" étaient rares à Paris.

DÉTONANT, L'UNION FAIT SA FORCE

Le curry est un mélange subtil d'épices élaboré selon le goût et l'humeur…

Près de Saint-Philippe-du-Roule et ) proximité de l'Opéra, les établissements dirigés par ses deux frères proposent les plats traditionnels définis et contrôlés par Shadi Lal, cuisinier qui triompha de cent cinquante candidats à la vie parisienne, lors des épreuves de sélection (les finalistes, au nombre de vingt, s'affrontèrent dans un grand hôtel de Madras). Le chef régnant à Paris sur une petite équipe indienne présente la double particularité de ne savoir ni lire ni écrire — il n'en connaît pas moins d'innombrables recettes et a la mémoire parfaire des dosages —, d'être végétarien, de juger les viandes, qualité et cuisson, uniquement à la couleur… Présentations faites, laissons Yogen Gupta évoquer le curry, invisible à la lecture de ses cartes, mais omniprésent sans être nommé, et souvent mis en vedette dans un livre auquel il a collaboré, 255 recettes de cuisine indienne : "L'Inde traditionnelle ne connaissait pas les restaurants, les voyageurs emportant avec eux de quoi faire leur cuisine : les problèmes de sectes et de castes ne permettaient qu'aux plus pauvres de se sustenter dans des lieux publics. Mais les maharajahs se disputaient les bons cuisiniers… et les mariages étaient l'occasion de fantastiques banquets (l'usage se perpétue). Des experts, spécialistes de père en fils, mélangeaient les épices avec raffinement, cherchant la subtilité et la force, jouant des musiques gustatives très différentes. Les ingrédients qu'ils composaient, appréciés pour leur valeur hygiénique autant que pour leur goût, servaient à l'élaboration d'une sauce nommée kadhi, kahri… Les Anglais entendirent curry et gardèrent le mot, qui se répandit en Europe avec des orthographes fantaisistes : le Larousse appelle "cari", "cary" ou "curry" le condiment composé de diverses épices et, par extension, les mets qu'il relève. En Inde, nous parlons de massala. Le garam massala (garam : chaud ; massala : mélange d'épices) compte parmi les ingrédients et préparations de base, avec le dahi (yogourt), utilisé dans de nombreuses préparations, le ghee (beurre clariifié), le lait de coco préparé avec de la chair de noix de coco fraîchement râpée, le panneer (lait porté à ébullition, que l'on retire du feu quand il caille, après ajout de jus de citron) et le jus de tamarin. Ce garam massala, dont il n'existe pas de recette absolue, comporte en principe cinq ingrédients dont du poivre, du cumin et des clous de girofle… En ce qui concerne le curry, mot parfois employé dans les grandes villes indiennes recevant des étrangers, mais inconnu dans les villages, on admet qu'il comporte presque obligatoirement du curcuma, poudre d'un beau jaune, du gingembre, du macis (l'enveloppe de la noix de muscade) du poivre, de la corandre séchée et réduite en poudre… A propos de coriandre, également cultivée en Europe depuis l'Antiquité : les Indiens en raffolent, l'utilisant aussi souvent, frais, en feuilles, que les Français usent du persil. Massala ou curry, peu importe : on jour là avec les mots !

"Une seule chose me surprend et me choque un peu, poursuit Yogen Gupta. Se croyant peut-être "au chinois", les Français veulent parfois accompagner leur repas indien de thé.

Pour nous, c'est un non-sens gastronomique, comme de boire du Coco-Cola avec du foie gras ou du café avec une bouillabaisse… Les Indiens se contentent souvent d'eau, aiment le lassi, lait fermenté servi très froid, salé ou sucré, les jus de fruits. Ils boivent fréquemment de la bière (on en fabrique du nord au sud du continent indien) et apprécient le vin. Les blancs trop acides se marient mal avec la plupart des mélanges d'épices et on n'imagine pas de gâcher un grand bordeaux avec un plat où domine le gingembre ! Personnellement, j'aime les petits bourgognes rouges, et j'ai un faible pour le saint-romain. Dernier détail : s'il est des massalas ou curries très relevées, l'utilisation fréquente du yogourt atténue le feu des épices : par ailleurs, il faut savoir que beaucoup d'Indiens sont végétariens : la variété des épices et des légumes, sans parler de la presqu'inévitable coriandre, enlève toute monotonie à la cuisine "végétale", plus savoureuse qu'en Europe. Rue Daunou et rue du Commandant-Rivière, nous proposons quelques plats "légumiers", tels que le baigan bhruta, une fondue d'aubergines aux aromates, le dal tarka, à base de pois chiches et de lentilles noires, l'aloo bhaai, fait de pommes de terre…". Nous sommes loin des rituels currys d'agneau ou de volaille, banalisés dans les cuisines françaises où l'on se contente souvent, au grand dam des puristes, d'ajouter les épices dans la sauce ou sur le plat, au dernier moment. Nous sommes également loin du mutton roganjosh (pardon pour ce panaché anglo-indien) que le chef végétarien de Vishnou et d'Indra fait préparer avec du gigot d'agneau "parfumé au traditionnel mélange d'épices" ou du mutton kahmiri kofta renforcé par un mélange de gingembre, cannelle, coriandre, cardamome et clou de girofle, qu'un officier de l'Armée des Indes eut appelé curry.

Jean-M. Thiercelin fournit des chefs tels que Jean-Pierre Morot-Gaudry, Henri Faugeron, Jacques Cagna, Alain Senderens, Joël Robuchon et Guy Savoy, pour ne citer que quelques Parisiens. Responsable d'une maison fondée en 1809, dynamique affaire familiale prenant de l'ampleur dans une zone industrielle "propre" du Val-de-Marne, à La Queue-en-Brie, il a diversifié les activités traditionnelles de la maison en fournissant des produits transformés à la plupart des branches de l'agro-alimentaire et en se lançant dans le surgelé haut de gamme. Mais il demeure spécialiste du safran, longtemps produit vedette de l’entreprise, et des épices (il fait, chaque année, le tour du monde, à la recherche des meilleurs producteurs, et vient de participer à un savant colloque "épicier" en Chine). Il conditionne également des mélanges indiens de quatre et cinq épices, des currys Bombay (doux) et Madras (fort), un panaché de cinq poivres ainsi que des fagotins de gousses de vanille.

ÉTONNANT, LES SENTEURS DE L'ORIENT

Originaire de l'Inde, le curry y est connu sous le nom de massala !

Au cours du deuxième millénaire avant notre ère, les Crétois récoltaient déjà le safran, qui apparaît dans le Cantique des Cantiques sous le nom hébraïque de karkom (le mot safran dérive de l'arabo-persan za'faran). La poudre rouge-orangé frémissante d'avoir absorbé l'or de la lumière solaire enchanta les Grecs et les Romains, passa pour abortive dans l'Italie des Médicis, où les dames en redemandaient au lendemain d'une imprudence, excita Baudelaire… et devint l'un des produits les plus trompeusement étiquetés et les plus trafiqués qui soient : le "safran des Indes" est du curcuma, le "safran bâtard" une plante du Moyen-Orient proche de nos immortelles : "le safran, dont les crocus sauvages sont les parents, fut cultivé dans le Midi de la France, puis monta dans des régions plus septentrionales, explique Thiercelin. On en produisit aux environs de Pithiviers jusqu'en 1920 : la maison commercialisait des tonnes de cet aromate maintenant précieux ! La culture, qui avait régressé pendant la Grande et souffert de trois hivers catastrophiques, s'est révélée trop coûteuse en main-d'œuvre : les trois stigmates seuls étant utilisés, 150 000 fleurs donnent tout juste un kilo de safran ! A l'heure actuelle, un producteur important comme il en existe en Espagne, ne produit que 3, 4 ou 5 kilos ! La tentation de frauder est grande : voulant commercialiser en boîtes de 1 à 500 grammes des safrans en stigmates ou en poudre garantis purs, pour la cuisine et la pâtisserie, nous sommes présents chaque année sur les lieux de cueillette."

Le couteux safran, dont Alexandre Dumas notait négligemment qu'il "donne de la couleur aux gâteaux, au vermicelle et au beurre", n'apporte au curry ni sa couleur due à la crocine, ni sa caractéristique amertume due à la picrocrocine : si le mélange tache fâcheusement les nappes et la chemise du convive maladroit, c'est surtout dû à la présence de curcuma, cette poudre d'un beau jaune brillant abondamment produit en Inde (le "safran indien"). La curcumine, matière colorante de la racine séchée et moulue, donne légalement bonne mine à bien des produits alimentaires, notamment à certaines moutardes, au beurre, à des fromages, à des laits aromatisés, à maintes charcuteries et salaisons, à des sucreries, pâtes de fruits et glaces… Tout étant normalisé en ce monde, l'emploi "colorant" du curcuma comme additif alimentaire est réglementé par la loi. L'Association française de normalisation, l'AFNOR, a édité, en septembre 1975, une norme concernant la poudre de carry précisant, sans vaine formulation, qu'elle est "le produit obtenu en broyant des épices propres, séchées et saines". Auteur d'un savant et séduisant ouvrage sur Les Épices publié chez Albin Michel, le professeur Pierre Delaveau divulgue deux compositions officieuses. La première associe rhizome de curcuma long, fruit de coriandre, poivre noir, écorce de cannelle, fruit de cumin, rhizome de gingembre, fruit de cardamome, fruit de capsicum (piment), poivre de Cayenne. La seconde, "plus simple, plus indienne", mais bien vue des censeurs français, ne regroupe que gingembre, curcuma, cardamome, poivre noir et coriandre.

La liste poétiquement baptisée "Aventure" de J.M. Thiercelin Sélection énumère, dans l'ordre alphabétique, l'anis étoilé, la cannelle, la cardamome, le carvi noir, les clous de girofle, le macis, la maniguette, la muscade, le sésame, sans parler des piments ni des poivres. Des noms qui chantent, stimulent l'imagination autant que les papilles, entretiennent le fantasmes exotiques, incitent à l'évasion, à des aventures maintenant douces. Préfaçant La Route de Épices, superbe album documenté et dépaysant publié chez Bordas, Paul et Bernard Corcellet prouvent que la véritable épicerie tient de l'art lyrique : "…Avez-vous pensé, en dégustant un met savamment rehaussé de poivre, que ce dernier vient du Malabar ; en liant une crème, que le paprika vient de Hongrie ; et, en parfumant un gâteau à la cannelle, que celle-ci fut récoltée en Chine ou au Sri Lanka ?  Botanique excitante, géographie gourmande, qui entraîne l'esprit vers des navigations imprécises, vers des tropiques indiscernables (…). Le plaisir suprême est de faire partager les arômes envoûtants, les couleurs chaudes, les essences subtiles. L'épicier amoureux de ses produits doit vous emmener au cœur de ce monde sensuel. Avec lui, vous parcourez, non seulement des routes terrestres ou océanes, mais une gamme de parfums et de tonalités voluptueux. Nous ne sommes plus au Moyen-Age où l’Église interdisait aux prêtres l'usage de la cardamome parce que trop volcanique…"

Coûteux ou presque prolétaire, un peu magique, relevant les goûts, les épices du massala-curry apportent les messages musicaux des Indes enchantées, dont Christophe Colomb crut trouver la nouvelle route en voguant vers l'ouest, ce qui valut à l'Occident et à l'Orient d'ajouter les notes plus ou moins explosives des piments au répertoire des anciens mondes. Ces épices permettent aux cuisiniers de personnaliser des recettes standard, d'extrapoler, voire d'inventer : foncez au Carré des Feuillants pour y découvrir le "lapereau retour des Indes", demandez, chez Jean-Pierre Morot-Gaudry, les filets de sole au curry, sachez que le macis détaché des noix de muscade aromatise fréquemment le foie gras. Et rappelez-vous qu'il n'est de superbes poires au vin qu'avec des clous de girofle…

Jacques-Louis Delpal

 


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